Il n’y a rien de plus triste qu’un bon guru qui a mal tourné. Les cyniques parmi nous peuvent objecter qu’un “bon guru” est en soi une contradiction, et certainement, le spectacle qu’offrent les cultes corrompus de ces dernières années et qui se présentent comme des autorités, jette un voile sur le rôle des enseignants spirituels. Néanmoins, je suis prêt à admettre qu’une quantité significative de sagesse et d’œuvres de compassion nous est parvenue par l’intermédiaire de divers gurus et de leurs disciples, et je résiste à la tentation de les considérer tous comme des charlatans avides de pouvoir

D’après tous les renseignements recueillis, Swami Muktananda a, en son temps, aidé des milliers de gens (un fait que même des ex-dévots désillusionnés ne contestent pas). Cependant, dans les quelques dernières années de sa vie, il y a eu une prolifération d’abus qui n’émergent que maintenant à la lumière de William Rodarmor ; ancien avocat, garde forestier, guide touristique de régions sauvages, et actuellement étudiant de troisième cycle à l’école de journalisme de Berkeley, à l’Université de Californie, il a passé des mois à interviewer d’anciens et d’actuels disciples de Muktananda pour cet article d’investigation. CQ a contacté indépendamment ses principales sources et a confirmé l’authenticité de leurs citations et de leurs allégations. -Jay Kinney

La Vie Secrète de Swami Muktananda

William Rodarmor
Illustré par Matthieu Wuerker

“Il n’y a aucune déité supérieure au guru, aucune acquisition meilleure que la grâce du guru … aucun état plus élevé que la méditation sur le guru”. -Muktananda

Dans le milieu spirituel américain, Baba Muktananda était connu comme le “guru des gurus”, un des maîtres de méditation les plus respectés jamais sorti de l’Inde. Respecté, c’est-à-dire jusqu’à maintenant.

Quand Baba Ram Dass le présenta aux Etats-Unis en 1970, Muktananda y était pratiquement inconnu. Grâce au pouvoir spirituel de Muktananda, son mouvement de méditation Siddha prit rapidement racine dans le sol fertile du mouvement américain pour le développement humain. Au moment où il mourut d’un arrêt du cœur en octobre 1982, les disciples de Muktananda avaient construit 31 ashrams ou centres de méditation, dans le monde entier. Quand les foules virent Muktananda descendre d’une limousine noire pour monter dans un avion à réaction de la Lear qui l’attendait, il était évident que le petit indien vêtu d’orange était un succès à l’américaine.

Jerry Brown, Werner Erhard, John Denver, Marsha Mason, James Taylor, Carry Simon, l’astronaute Edgar Mitchell et Meg Christian furent tous, à diverses époques, intéressés par le mouvement de Muktananda. Le coordonnateur des médias du grand ashram d’Oakland en Californie est l’ancien leader des Panthères Noires, Erika Huggins.

Baba Muktananda disait qu’il était un Siddha, le représentant d’une lignée hindoue séculaire. Selon sa biographie officielle, il a, au cours de sa jeunesse, erré à travers l’Inde, allant d’enseignant en enseignant, vivant la vie chaste et austère d’un moine. A Ganeshpuri, près de Bombay, il devint le disciple de Nityananda, un guru Siddha aux pouvoirs yogiques impressionnants. Après des années de méditation, Muktananda fit l’expérience de l’illumination. Quand Nityananda mourut en 1960, Muktananda prétendit que, sur son lit de mort, son guru lui avait passé le vêtement des Siddhas, une revendication contestée par certains disciples indiens de Nityananda. Quand, à son tour, Muktananda mourut, une presse bienveillante le voyait toujours comme un ‘Monsieur Propre’ spirituel et ses deux successeurs, une équipe de deux swamis frère et sœur, continuèrent à attirer des milliers de gens qui cherchaient à élever leur conscience.

Pour la plupart de ses disciples, Muktananda était un grand maître. Mais pour d’autres, c’était un homme incapable de vivre conformément aux principes élevés qu’il enseignait. “Quand on approche un guru pour la première fois”, écrivait Muktananda, “il faut soigneusement examiner ses qualités et ses actes. Il doit avoir maîtrisé le désir et la colère, et banni tout orgueil de son cœur”. Nombreux sont ceux qui n’ont compris l’avertissement qu’un peu trop tard.

Certains des anciens disciples les plus éminents de Muktananda dénoncent maintenant qu’à plusieurs reprises, le guru viola son vœu de chasteté, qu’il tirait des millions de dollars du travail de ses disciples, et autorisait les armes à feu et la violence dans son ashram. Accusations qui furent niées par les swamis qui reprirent son mouvement après la mort du maître.

Lors de la préparation de ce récit, j’ai interviewé 25 dévots actuels et anciens ; la plupart des entrevues sont enregistrées sur bande. Certaines personnes n’ont accepté de me parler que si je leur garantissais l’anonymat, et certains étaient aigris par ce qu’ils ressentaient comme une trahison de confiance de la part de Muktananda. Tous reconnaissent que Muktananda avait des pouvoirs hors du commun. Ils ne sont pas tous d’accord sur l’usage qu’il en faisait.

“Je n’ai pas de relations sexuelles pour la même raison que vous en avez : qui est parce que c’est si bon.” –Muktananda

Dans ses enseignements, Muktananda met beaucoup l’accent sur le sexe (la plupart du temps négativement). Le réfrènement des pulsions sexuelles libère l’énergie de la Kundalini qui mène vers l’illumination, dit-il. Le swami prétendait être lui-même tout à fait chaste.

Les membres du cercle restreint auprès du guru disent cependant que Muktananda avait régulièrement des relations sexuelles avec des partenaires féminines. Michael Dinga, un entrepreneur d’Oakland, qui était le chef des constructions de l’ashram et un administrateur de la fondation, dit que les exploits sexuels du guru étaient bien connus à l’ashram. “C’était censé être le grand secret de Muktananda”, disait Dinga, “mais comme beaucoup de filles étaient dans leur toute première ou moyenne adolescence, il leur était difficile de garder le secret”.

Une jeune femme, que j’appellerai “Marie”, affirme que c’est en 1981, au principal ashram américain de South Fallsburg dans l’état de New York, que le guru la séduisit. Marie avait à peine vingt ans à l’époque. Muktananda en avait 73.

A South Fallsburg, le soir, Muktananda restait debout derrière un rideau pour observer les filles qui rentraient au dortoir. A plusieurs reprises, il demanda à Marie de venir dans sa chambre et lui fit des cadeaux en argent et en bijoux. Finalement, elle y alla. Quand ensuite il lui demanda de se déshabiller, elle fut choquée, mais elle obéit.

“Il avait un endroit spécial qui, je suppose, servait à ses affaires sexuelles. Il y avait comme une table de gynécologue, mais sans les étriers”. (Plus tard, c’est à son grand regret que Michael Dinga se rendit compte que c’était lui qui avait construit la table). “Il n’avait pas d’érection”, dit Marie, “mais il s’insérait autant qu’il le pouvait. Il restait debout, les yeux roulés vers le plafond. On aurait dit qu’il était dans une sorte d’extase”. Quand la session se termina, Muktananda ordonna à la fille de revenir le lendemain et ajouta : “Ne mets pas de sous-vêtements”.

Le premier soir, Muktananda avait essayé de convaincre Marie qu’il s’agissait de l’initier au yoga tantrique, le yoga du sexe. Le lendemain soir, il ne s’en donna même pas la peine. “C’était un peu comme :’Bon, tu es là, enlève tes vêtements. Monte sur la table et en avant. Tout simplement du sexe, pur et dur, à froid”.

Marie parla à deux personnes de ce qui lui était arrivé. Aucune ne parut particulièrement étonnée.

Cela affecta Chandra, la femme de Michael. Chandra était probablement l’américaine la plus éminente du mouvement. En tant que responsable des services de bouche, elle voyait Muktananda quotidiennement et savait ce qui se passait. “Toutes celles qui travaillaient dans sa cuisine étaient sollicitées d’une façon ou d’une autre”, dit-elle. Une fille, que j’appellerai “Nina”, travaillait pour Chandra. Un jour, le guru lui fit cette remarque en hindi : “Le sexe avec Nina, c’est très bon”. Plus tard, la mère de Nina fut ordonnée swami.

Chandra raconte qu’avant, elle rationalisait le fait que le guru ait des relations sexuelles, mais elle fut consternée d’apprendre que c’était arrivé à sa jeune amie Marie. Consciente du pouvoir qu’avait Muktananda sur ceux qui lui étaient dévoués, ce fut pour elle comme une forme de viol.

L’autre personne à qui Marie se confia fut Malti, la traductrice attitrée de Muktananda.

Marie dit que Malti ne fut pas étonnée quand elle lui apprit qu’elle avait été séduite par le vieux guru. “Elle me dit que cela faisait des années et des années que les gens le lui rapportaient”, dit Marie. “Elle se trouvait prise entre les deux”. Malti et son frère, qui prirent respectivement les noms de Chidvilasananda et Nityananda, sont les nouveaux leaders du mouvement.

Une autre victime de Muktananda fut une femme que j’appellerai “Jennifer”. Elle dit que c’est au printemps 1978, à l’ashram principal indien de Ganeshpuri, que Muktananda la viola. Il ordonna à Jennifer de venir dans sa chambre tard le soir, et lui dit de se déshabiller. “J’étais choquée”, dit-elle, “mais au fur et à mesure des années, j’avais appris qu’on ne dit jamais non à ce qu’il vous demande de faire…”

Selon elle, le rapport sexuel que Muktananda eut avec Jennifer dura une heure, il en était très fier. “Il n’arrêtait pas de dire ‘Soixante minutes !'”, ajoute-t-elle. “Il prétendait utiliser les vraies positions indiennes, et non celles occidentalisées utilisées en Amérique”. Pendant ses rapports sexuels, le guru aimait faire la conversation, mais Jennifer constatait qu’elle ne pouvait pas sortir un mot. “Tout ce qu’il voulait savoir, c’était l’âge que j’avais quand j’ai eu mes premières règles. Je répondis quelque chose et il dit : ‘C’est bien, tu es pure'”. Bouleversée par l’événement, Jennifer envisagea de quitter l’ashram au plus vite, mais Muktananda continuait à s’intéresser à elle. “Il m’observait par le trou de la serrure quand je me déshabillais”, dit-elle. Elle ouvrait la porte et voyait le guru à l’extérieur. “J’ai commencé à avoir peur de lui, parce qu’il n’arrêtait pas de venir dans ma chambre le soir”.

Ces deux femmes dirent, l’une et l’autre, que l’ashram de Ganeshpuri était aménagé pour servir les besoins de Muktananda.

“Il y avait un passage secret entre sa maison et le dortoir des toutes jeunes filles”, dit Marie. “Qu’une d’elles tombe sous son dévolu, et il la faisait transférer dans ce dortoir”. Le guru visitait souvent le dortoir des filles pendant qu’elles se déshabillaient. “Il venait quand bon lui semblait” dit Jennifer, “et on ricanait sottement. Tout au début, je n’aurais jamais cru qu’il pouvait avoir des désirs sexuels. C’était le guru…” Marie, elle, en savait davantage : elle avait parlé avec au moins huit autres jeunes filles qui avaient eu des rapports sexuels avec Muktananda. “Je savais qu’il avait des filles qui entraient et sortaient de sa chambre toute la nuit”, dit-elle.

En 1979, pendant que ses disciples procédaient à la rénovation d’un hôtel à Miami, Muktananda dormait à l’étage des femmes, et il ordonna que les plus jeunes soient logées dans les chambres les plus proches de la sienne, et les plus âgées, au bout du couloir.

“On savait toujours avec qui il avait des rapports” dit Chandra. “Elles descendaient le lendemain avec un nouveau bracelet en or ou une nouvelle paire de boucles d’oreille. “Dans l’ashram, dit Marie, les gens savaient que “toutes celles qui avaient des bijoux allaient souvent dans sa chambre.

Pendant un certain temps, les disciples de Muktananda trouvèrent de bonnes raisons à son comportement. Il ne pénétrait pas vraiment ses victimes, disaient-ils. Ou il n’éjaculait pas, ce qui, pour certains, constituait une différence importante, car garder le sperme est une façon de conserver l’énergie de la Kundalini.

Finalement, Chandra estima que cela ne faisait aucune différence. “Si l’on décide d’être chaste et de prêcher l’abstinence, cela ne permet pas d’y aller à moitié, et ensuite de se retirer. On vit ce qu’on prêche…”

Après avoir, pendant des années, réprimé des doutes grandissants envers Muktananda, quand ils apprirent qu’il harassait une petite de 13 ans, Michael et Chandra finirent par mettre un point final. Ses parents l’avaient confiée à l’ashram ; c’est la blanchisseuse et le chauffeur de Muktananda qui en avaient la garde. La blanchisseuse “me dit que Baba lui faisait des choses”, dit Chandra. “Je crois qu’il lui tournait autour”. La blanchisseuse suggéra que c’était peut-être “la façon de Baba de l’aimer”, mais Chandra était épouvantée.

Les accusations sexuelles contre Muktananda continuèrent. En 1981, un de swamis de Muktananda, Stan Trout, écrivit une lettre ouverte accusant son guru de harasser des petites filles sous prétexte de vérifier leur virginité. La lettre fit l’effet d’une vague, mais cela ne sortit pas de l’ashram. Dans une “Note de Baba”, Muktananda répondit simplement : “C’est par leur expérience et non par des lettres qu’ils reçoivent que les dévots devraient connaître la vérité… Vous devriez être heureux que je sois toujours vivant et en bonne santé, et qu’ils n’aient pas essayé de me pendre”.

“Pitoyable est celui qui n’arrive pas observer la discipline et la maîtrise de soi même dans un ashram”. –Muktananda

Au début de ses huit années avec Muktananda, Richard Grimes, qui avait abandonné ses études à Yale University, dit qu’il vécut “une sorte de période de grâce agréable où l’on est si impliqué à démarrer une vie intérieure qu’on ne remarque pas vraiment ce qui se passe autour”. Mais ensuite il commença à voir des choses qui ne cadraient pas avec sa notion de retraite de méditation.

“Muktananda rentrait dans des colères féroces”, dit Grimes, “et il se mettait à crier ou à hurler après quelqu’un sans raison apparente”. Il lui est arrivé, en de nombreuses occasions, de voir le guru battre des gens. “En Inde, si des paysans étaient pris en train de voler une noix de coco dans son ashram, il arrivait souvent à Muktananda de les battre”, dit Grimes. Les gens de l’ashram pensaient que c’était un grand honneur d’être battu par le guru. Personne ne demandait l’avis des paysans.

Noni Patel, le valet omniprésent de Muktananda, était la cible régulière de la colère de son maître. A Denver, pendant le tour, Noni descendit à la cuisine pour se faire soigner pour une étrange blessure au côté. “Au début, il ne voulait pas dire comment c’était arrivé”, se rappelle Lotte, la femme de Grimes. “Ensuite, il s’avéra que c’était Baba qui lui avait planté une fourchette dans le côté”.

Quand les ex-dévots racontèrent les tactiques musclées utilisées contre des dévots, les noms de deux personnes proches de Muktananda revenaient sans cesse. C’était ceux de David Lynn, connu sous le nom de Shripati, un ex-fusilier marin vétéran du Vietnam. L’autre, celui de Joe Don Looney, un ancien joueur de football, réputé, au sein des cinq équipes de la NFL où il avait joué, pour être un fauteur de troubles, d’où son casier judiciaire. On les connaissait comme les “hommes de main” ; Muktananda s’en servait pour tenir les gens dans le rang.

Une fois, sur les ordres du guru, Shripati provoqua une bagarre en public avec Stan Trout, qui était alors swami à l’ashram de South Fallsburg. Il arriva de Boston, où Muktananda résidait, et sans aucune provocation de la part de Trout, d’un coup de poing mit celui-ci à terre. Abed Simli, un très ancien dévot, fut témoin de l’attaque, mais il se dit que Shripati avait perdu les pédales. Michael Dinga, lui, vit cela tout autrement. Muktananda lui avait téléphoné le matin avant la bagarre, et il lui avait dit que l’ego de Trout devenait trop important, et qu’il envoyait Shripati pour le remettre à sa place. On demandait à Dinga, qui est un homme bien bâti, de ne pas s’en mêler.

En Inde, Dinga et un homme appelé Peter Polivka, furent témoins d’une bagarre particulièrement brutale provoquée par le valet de Muktananda, Noni Patel contre un jeune disciple, un allemand d’une vingtaine d’années, que Dinga décrivit comme “apparemment pas dans son état normal” commençait à gêner la séance de méditation d’une intensive. L’allemand fut traîné à l’extérieur, passé à la douche froide, et laissé tout nu sur le béton derrière l’ashram. Dinga dit que l’allemand resta simplement assis en position du lotus, tentant d’esquiver ce qui lui tombait dessus.

Muni d’un tuyau en caoutchouc de 50 cm de long, Noni Patel se mit à battre le garçon pendant trente minutes tout en l’interrogeant pendant qu’un grand noir appelé Hanuman le maintenait. “C’était des coups donnés de toutes leurs forces”, dit Dinga, “et qui produisirent d’horribles marques sur le corps du garçon”.

Les maîtres qui battent leurs élèves est une vieille tradition en Orient. Les tibétains et les bouddhistes Zen abondent d’histoires de bons coups secs qui arrêtent l’esprit rationnel des élèves suffisamment longtemps pour leur permettre d’atteindre l’illumination. Ne serait-ce pas ce que faisait Muktananda?

“C’est une façon de voir les choses”, dit Richard Grimes. “Pendant des années, on croyait que tout ce qui ne collait pas venait de ce qu’il vivait hors des lois de la morale, qu’il pouvait faire tout ce qu’il voulait. C’est cela, en fait, le plus grand danger, celui d’avoir un maître parfait à la tête de n’importe quelle sorte de groupe : il n’y a plus aucune garantie”.

Chandra Dinga dit qu’au fur et à mesure que grandissait le pouvoir de Muktananda, il ignorait les normes usuelles du comportement. “Il estimait qu’il était au-dessus et au-delà des lois”, ajoute-t-elle. “Cela allait de rudoyer ceux qui ne faisaient pas ce qu’il voulait, jusqu’à finalement, avoir des armes à feu”.

Bien que les ashrams soient des centres de méditation, le nombre de ceux qui avaient des armes à feu était surprenant. Chandra a vu l’arme à feu de Noni, l’arme à feu de Subash, le successeur de Muktananda, et le fusil de chasse que Muktananda gardait dans sa chambre. D’autres ont vu des armes à feu dans les mains de “l’homme de main”, Shripati, et du manager de l’ashram, Yogi Ram. Le manager de l’ashram indien montra à Richard Grimes un pistolet qui était passé illégalement en Inde pour sa propre utilisation. A Santa Monica, un dévot ouvrit un sac en papier dans un véhicule de l’ashram, et y trouva des munitions.

Une femme qui, depuis de nombreuses années, dirigeait la boulangerie de l’ashram, dit qu’elle savait que certaines personnes avaient des armes à feu, mais que ça ne l’avait jamais inquiétée. L’Ashram de Santa Monica, par exemple, était situé dans une zone assez mal famée, dit-elle, et les armes à feu n’étaient là que pour se protéger.

“Dans un ashram, un endroit sacré, on ne doit pas gaspiller le temps précieux qu’on a à manger, boire, dormir, cancaner et bavarder sans cesse”. -Muktananda

D’après tout ce j’ai pu récolter, les dévots de l’ashram travaillaient dur, et dans des conditions éprouvantes. En Inde, ils étaient isolés de leur culture. Même dans les ashrams américains, les amitiés proches étaient regardées de travers, et Muktananda décourageait fortement les dévots de rendre visite à leur famille. Une femme, que j’appellerai “Sally”, se levait à 3h30 pour aller travailler. Elle dit que sa journée se passait à travailler, chanter, méditer et à observer le silence. “Certains jours, on ne pouvait parler à personne de toute la journée. Je me sentais très seule”. On entendait souvent des chants dans les haut-parleurs. Même cette femme, qui est toujours impliquée dans le mouvement, admit que “les longues heures, ça n’en finissait pas”.

Quant aux constructions, bien que Michael Dinga fût le bras droit de Muktananda, il travailla “dans des délais incroyables et des budgets ridicules”, en fournissant autant d’heures que les membres de son équipe. Il dit qu’au cours des six années et demi qu’il passa à l’ashram, il eut un total de deux semaines de congé.

Au bout d’un certain temps, Dinga finit par être perturbé par ce qui lui paraissait de l’exploitation : “J’ai vu combien les gens étaient manipulés, combien ils travaillaient avec sincérité et dévotion sans se douter que, par derrière, on se moquait d’eux, on profitait d’eux”.

“On doit considérer le moindre penny reçu en cadeau comme appartenant à Dieu et à la religion”. -Muktananda

Le mouvement de MUKTANANDA fut à la fois un succès spirituel et financier. Une fois la méditation Siddha devenue populaire, dit Chandra Dinga, “l’argent afflua à l’ashram”. Les deux jours “de méditation intensive” donnés par Muktananda, et maintenant par ses successeurs, étaient particulièrement lucratifs. Aujourd’hui, une intensive donnée par les deux nouveaux gurus coûte 200 $. (Mandats postaux ou chèques bancaires uniquement ! De grâce, aucune carte de crédit ou chèque personnel). Une intensive tenue à Oakland en mai 1983 rassembla 1200 participants et l’on dut refuser des gens. À raison de 200 $ par personne, les travailleurs de Chidvilasananda et de Nityananda faisaient gagner à l’ashram près d’un quart de million de dollars en un simple week-end.

Il y a toujours eu beaucoup de mystère autour des affaires de l’ashram, remarque Lotte Grimes. Du vivant de Muktananda, ce mystère concernait bel et bien les questions d’argent.

Combien de gens avaient participé à une intensive, par exemple, était un secret même pour les dévots. Une simple multiplication aurait suffi pour dire combien d’argent était rentré. Et quand Richard Grimes ouvrit un restaurant à l’ashram d’Oakland, il dit que Muktananda “rentra dans une grande colère” quand il apprit que Grimes avaient gardé ses propres archives de ce que cela avait rapporté.

Chandra Dinga, la directrice des services de bouche, dit que, dans tous les ashrams, les restaurants avaient toujours été de grosses machines à sous où les dévots travaillent de longues heures pour rien. L’été, pendant le tour, elle dit qu’ils servaient plus de mille personnes, et rapportaient trois mille dollars d’argent comptant par jour. Sally dit qu’un petit déjeuner qui était vendu deux dollars coûtait en fait environ trois centimes à l’ashram.

Les donations engraissaient les coffres encore bien davantage. Si quelqu’un d’important arrivait à l’ashram, le travail de Chandra consistait à les inciter à donner un banquet en faisant une grosse donation : 1500 $ à 3000 $, c’était considéré comme approprié. “Il y avait tout simplement un flux continuel d’argent dans ses poches”, dit Chandra, “Cela lui permettait d’avoir ce qu’il voulait et d’acheter les gens”.

On dit que Muktananda était lui-même très attaché à l’argent. “Pendant des années, il ne s’intéressa qu’aux riches”, dit Richard Grimes. “Il passait tout son temps, en dehors de ses apparitions publiques, à recevoir en privé tous ceux qui avaient beaucoup d’argent”.

Une succession de Mercedes-Benz amenait de riches visiteurs à l’ashram de Ganeshpuri, dit Grimes. A Oakland, Lotte Grimes vit Malti demander, sur ses ordres, la liste des gens de l’ashram qui avaient de l’argent, pour organiser des entrevues privées avec Muktananda.

Les dévots, eux, devaient se contenter de petites bourses, si encore ils obtenaient quelque chose. Malgré son statut de chef des services de bouche, Chandra Dinga n’obtint jamais plus de 100 $ par mois. Les dévots moins prestigieux dépendaient entièrement de la générosité du guru. Une fois où Sally avait cassé ses lunettes, elle passa deux jours à pleurer sachant qu’elle devrait solliciter Muktananda pour en obtenir une autre paire.

Combien d’argent Muktananda amassa-t-il par ses actions ? Même les représentants officiels de la fondation, qui apparemment dirigeaient les affaires de Muktananda, ne le surent jamais avec certitude.

En tant qu’administrateur de la fondation, Michael Dinga devait cosigner les dépôts sur les comptes en banque suisses de l’ashram, mais le montant des formulaires était toujours laissé en blanc. En 1977 cependant, il eut une indication. Ron Friedland, le président de la fondation, lui dit que Muktananda avait 1,3 millions de dollars en Suisse. Trois ans plus tard, Muktananda dit à Chandra que c’était plutôt cinq millions. “Et puis il rit et dit : ‘Il y a plus que ça !'”.

Une femme appelée Amma, qui fut la compagne de Muktananda pendant plus de vingt ans, dit aux Dinga que tous les comptes étaient au nom des successeurs éventuels de Muktananda, Chidvilasananda et Nityananda.

En décembre 1980, Michael et Chandra Dinga finirent par quitter l’ashram. Ils avaient servi Muktananda seize ans et demi au total, et avaient acquis des postes vraiment importants. Tous deux savaient exactement comment fonctionnait l’ashram.

Ensemble, ils allèrent trouver Muktananda pour lui dire pourquoi ils voulaient partir. Cela ne plût pas au guru. Pour les faire rester, Muktananda proposa aux Dinga tout ce qui pourrait les tenter. Il leur offrit une voiture, une maison et de l’argent. Quand cela échoua, il se mit à pleurer. “Vous êtes mon sang, ma famille”, dit-il. Puis Muktananda changea brusquement de tactique. “Ce n’est pas un jour propice pour venir”, dit-il. “Je ne peux pas vous donner ma bénédiction”. Le lendemain matin, par l’interphone public, il appela Chandra et lui dit qu’elle pouvait partir immédiatement.

Les Dinga disent qu’après leur départ, ils furent accusés par le guru et que leur vie fut menacée.

“Muktananda prétendit qu’il nous avait chassés parce que Chandra était une putain”, dit Dinga, “qu’elle avait des rapports sexuels avec de jeunes garçons qui travaillaient au restaurant. Ensuite, il dit que j’avais un harem. Autrement dit, il nous accusait de tout ce qu’il faisait lui-même”. Muktananda prétendit aussi que tous les bâtiments que Michael avait construits ne valaient rien. Quand un gars de l’équipe de Michael voulut le défendre, on le menaça physiquement.

Laissant tous leurs amis derrière eux à l’ashram, les Dinga emménagèrent dans la région de San Francisco, mais l’hostilité de Muktananda les suivit. Leur sonnette et leur téléphone se mirent à sonner à des heures indues, et un soir, Michael vit les “hommes de main” s’enfuir de leur porte. Chandra fit l’objet d’une cruelle mystification. Quelqu’un la suivit alors qu’elle emmenait son chat chez le vétérinaire, puis téléphona au bureau du vétérinaire avec un message disant que son mari avait eu un grave accident. Chandra attendit frénétiquement trois quarts d’heure à l’hôpital Alta Bates de Berkeley pour finalement apprendre que Michael était sain et sauf à son travail.

C’est vers la fin avril 1981, six mois après leur départ de l’ashram, que commencèrent les menaces de mort envers les Dinga. Le 7 mai, Shripati et Joe Don Looney rendirent visite à Lotte Grimes à son travail à Emeryville avec un avertissement effrayant : “Dis à Chandra que c’est un message de Baba : Chandra n’a plus que deux mois à vivre”. Un autre ex-disciple dit qu’il reçut un message semblable : si les Dinga ne se tiennent pas tranquilles, on jettera de l’acide au visage de Chandra ; on castrera Michael.

Les Grimes et les Dinga rapportèrent les menaces à la police. Les Dinga engagèrent un avocat.

Ce n’est qu’après l’appel de l’officier de police de Berkeley, Clarick Brown, à l’ashram d’Oakland que s’arrêtèrent les menaces, mais Chandra était sérieusement effrayée. Certains ex-disciples le sont toujours.

Le départ de Michael et de Chandra suscitèrent un petit exode à l’ashram. Certains ex-disciples commencèrent à se rencontrer et à faire des rapprochements sur leurs expériences dans l’ashram. “Cela nous a étonnés et rajeunis”, dit Richard Grimes. “Apprendre que c’était un escroc nous donna plus d’énergie que croire que c’était ‘quelqu’un’ ne nous en avait jamais donné”.

Malgré tout, les dévots qui ont quitté l’ashram pansent toujours la plaie de leur vie. Michael et Chandra ont rompu leur mariage, tout comme Sally. Michael vient tout juste de sortir d’une période de dépression et de vide. Richard et Lotte Grimes s’en veulent amèrement d’avoir gaspillé tant d’années de leur vie à l’ashram. Stan Trout considère toujours Muktananda comme un grand yogi, mais avec de tragiques défauts.

Chandra Dinga mit des années pour arriver à accepter son expérience avec Muktananda : “Tout ton système de référence est de travers”, dit-elle. “Ce que normalement tu croyais bien ou mal n’a plus aucune place. Le fin-fond de l’histoire, c’est que tout ce que fait le guru est pour ton propre bien. Le guru ne fait aucune erreur. Quand enfin je me suis rendu compte que tout ce qu’il faisait n’était pas pour notre propre bien, il m’a fallu partir”.

Lorsque les deux successeurs de Muktananda étaient à l’ashram d’Oakland en fin mai, j’ai soulevé la question des accusations contre son guru auprès de Swami Chidvilasananda.

À sa connaissance, Muktananda avait-il des relations sexuelles avec des femmes de l’ashram ? “Pas que je sache”, dit-elle avec précaution. Et l’accusation que Muktananda avait eu des rapports sexuels avec des jeunes filles ? “Ces filles ne s’en sont jamais plaintes à nous”, dit Chidvilasananda. “Et nous n’avons jamais rien vu ; nous n’en avons entendu parler que quand Chandra a raconté ça à tout le monde”.

Chidvilasananda nia également qu’il y avait un compte bancaire en Suisse. Quant aux finances de l’ashram, elle dit que tous les revenus étaient réinvestis dans des équipements. “Nous ne faisons aucun bénéfice”, dit le nouveau leader.

Quant aux présumés passages à tabac, elle dit que les américains avaient leur propre façon de faire les choses. “Vous ne pouvez pas blâmer le guru, dit-elle, parce que ce n’est pas ce que le guru enseigne”.

Pourquoi donc, demandai-je, les autres ex-dévots auxquels j’ai parlé soutiennent-ils les Dinga dans leurs accusations ?

Chidvilasananda répondit : “Je suis très contente qu’ils vous aient donné une très belle histoire qui les couvre, et ce que je veux vous dire c’est que je ne veux pas rentrer dans cette histoire parce que je connais leur histoire, moi aussi, et je ne veux pas du tout en parler”. Quand j’ajoutai : “Vous avez là l’occasion de nous dire si vraiment vous pensez que ce sont des accusations valables, des mensonges ou des illusions”, la réponse de Malti fut : “Je ne vais pas aller fouiller l’esprit des gens pour essayer de découvrir quelle est la vérité”.

Deux swamis et un certain nombre de disciples actuels affirmèrent également que les accusations n’étaient pas vraies. D’autres disent qu’ils ne les croient tout simplement pas.

En ce qui concerne l’argent, lors d’une interview qui eut lieu le 1er octobre l983, Ed Olivier, le chef de la fondation, admit au Los Angeles Times “qu’il y avait un compte suisse avec 1,5 millions de dollars. Et quand je lui répétai le démenti de Swami Chidvilasananda concernant des femmes qui se seraient plaintes auprès d’elle, Marie, la femme qui prétend avoir été séduite à South Fallsburg par le guru, dit : “Eh bien, c’est un mensonge éhonté !”

“Les péchés commis ailleurs sont détruits dans un lieu saint, mais ceux commis dans un lieu saint vous collent fortement à la peau ; il est difficile de s’en débarrasser”. Muktananda

Voici le récit d’accusations sérieuses faites à l’encontre d’un chef spirituel que des milliers de gens prient et révèrent toujours. Même ses détracteurs disent que Muktananda leur a beaucoup donné au début. “Il créait un champ de force autour de lui”, dit Michael Dinga. “La force qui émanait de lui était tangible. J’avais l’impression de m’être saisi de quelque chose qui répondrait à mes questions”. Des ex-dévots disent que les yeux de Muktananda avaient une sorte de lumière ; quand ils rencontrèrent le guru pour la première fois, celui-ci rayonnait d’amour et de bienveillance. Aussi, il avait sa façon à lui de faire sentir au dévot qu’il était spécial.

“Je pense que s’il m’aimait tant, dit Chandra, c’est que je n’étais pas impressionnée par toutes ces visions, tous ces sons, parce que je comprenais qu’avoir une expérience de Dieu était quelque chose de beaucoup plus riche et plus ordinaire”. Chandra estime toujours que la spiritualité est la chose la plus importante de sa vie. Elle dit que c’est à force de découvrir le côté sombre de la personnalité de son guru que son amour et son respect furent petit à petit grignotés. “Quand vous avez quelqu’un que vous aimez, vous n’allez jamais imaginer qu’il pourrait vous faire du mal. À la fin, j’étais écrasée sous la peine”. Pourtant, bien que la conclusion à laquelle Chandra aboutit au bout de ses dix années avec le swami soit très déplaisante, elle remarque malgré tout : “Si c’était à refaire, pour rien au monde je n’échangerais cette expérience”.

Dans un certain sens, le sexe, la violence et la corruption, ce n’est pas ça l’important. Les défauts personnels de Muktananda étaient déjà suffisamment mauvais comme ça, explique Michael Dinga, mais “le pire, c’est qu’il n’était pas ce qu’il disait être”.

Une personne peut faire des progrès spirituels sous l’égide d’un maître corrompu, de même qu’avec un placebo on peut vraiment se sentir mieux. Mais jusqu’à quel point peut-on réellement grandir spirituellement sous l’égide d’un maître qui lui-même ne vit pas la vérité ? Il y avait un fossé énorme entre ce que Muktananda prêchait et ce qu’il faisait, et seule son hypocrisie empira les choses. Ses successeurs sont en plein dilemme : s’ils admettent les péchés de leur guru, Chidvilasananda et Nityananda perdent leur façade divine, et leur revendication d’appartenance à une lignée de maîtres parfaits s’en trouve affaiblie. Mais s’ils ne le font pas, les gens qui viennent à eux dans l’espoir de trouver la vérité courent à la déception.

C’est en tant qu’enseignant et directeur d’ashram que Stan Trout, anciennement Swami Abhayananda, servit Muktananda pendant dix ans. Il partit en 1981. “Mon départ, en plein été, de l’organisation de Muktananda fut aussi un retrait de ce que je considérais comme ma famille fraternelle, mes amis et par-dessus tout, le travail de ma vie”, nous écrit-il. C’est après avoir lu un premier tirage de “La Vie Secrète de Swami Muktananda” dans lequel il était cité qu’il nous envoya cette lettre ouverte. – Art Kleiner

Lettre d’un ancien Swami

Stan Trout

J’aimerais, si possible, ajouter cette lettre en annexe à l’article de William Rodarmor sur Muktananda. C’est la conclusion à laquelle j’en suis venu, après les deux années de cogitations profondes qui ont suivi ma découverte de ‘sa vie secrète’, , et qui constitue mon opinion sur Muktananda’.

Quand j’ai quitté le service de Muktananda, je l’ai fait parce que je venais d’apprendre les menaces qu’il avait lancées à l’encontre de certains de ses très anciens dévots qui avaient récemment quitté son service. Il avait envoyé deux de ses gardes du corps pour lancer des menaces envers deux jeunes femmes mariées qui avaient raconté à d’autres femmes, qui l’avaient raconté à d’autres, les liaisons sexuelles de Muktananda avec un certain nombre de jeunes filles de son ashram. Ce fut immédiatement clair pour moi que je ne pouvais pas représenter un guru qui non seulement profitait sexuellement de ses dévotes, mais menaçait de blesser corporellement ceux qui révélaient la vérité à son sujet. Cependant, après avoir quitté Muktananda et avoir donné les raisons de mon départ à ceux qui étaient toujours à son service, un autre point vint éclairer ma lanterne en m’apprenant quelque chose non seulement sur Muktananda, mais sur la nature de l’organisation, et de toute autre organisation dont le chef est considéré par ses disciples comme infaillible, et donc obéi implicitement.

Quand Chandra et Michael Dinga, et moi-même plus tard, avons appris la vérité sur Muktananda et sa vie sexuelle secrète, il n’y avait absolument aucun moyen de fournir les preuves nécessaires à une audition ou un jugement équitables. Il n’y avait pas d’autre recours que de partir, car le guru était la seule possibilité d’appel, et il mentait comme il respirait. D’ailleurs, sa parole était considérée par ses disciples comme si irrévocable que, à notre départ, quand on nous a qualifiés de “démons”, pas une seule âme parmi ceux qui, pendant dix ans, avaient été nos frères et nos sœurs en dévotion, n’a posé de questions ou soulevé une objection, mais tous nous ont rejetés unanimement et catégoriquement comme les infidèles déments qu’il disait que nous étions. Il suffit d’observer comment tous ceux parmi nous qui découvrirent la vie secrète du guru furent traités par nos anciens camarades pour comprendre le pouvoir démoniaque inhérent à n’importe quel rapport fondé sur l’infaillibilité du chef et l’obéissance inconditionnelle des sujets…

Il est clair pour moi que ce ne sont ni les filles avec qui Muktananda a eu ses diversions sexuelles qui ont commis ces actes auxquels elles n’avaient donné aucun consentement moral ou raisonné, ni non plus les hommes que l’on envoya les menacer de violence, ni moi-même quand, suivant les ordres de Muktananda, j’allai exprimer à d’autres des opinions auxquelles je ne croyais pas vraiment. C’est un phénomène triste mais éternel que, par amour pour la vérité et pour ceux qui l’enseignent et semblent l’incarner, on se prédispose par mégarde à être exploités et trahis. L’erreur, c’est de déifier un être et de lui attribuer la perfection. A partir de là, on peut tout admettre.

Je pense que la leçon à retenir, c’est qu’on ne peut tout simplement pas se permettre d’abandonner sa souveraineté personnelle (que ce soit dans une organisation socio-politique ou dans une congrégation religieuse). Ceux qui mettent volontairement de côté leur propre autonomie, leur propre jugement moral pour obéir même à un Christ, à un Bouddha ou à un Krishna, le font au risque de perdre bien plus qu’ils ne peuvent espérer gagner.

J’ai beaucoup réfléchi sur Muktananda lui-même. A mon avis, il ne fait aucun doute que c’était un homme extraordinairement éclairé, érudit et articulé qui possédait un pouvoir singulier, un éclat dynamique personnel et un charisme qui attiraient les gens et les incitait à mettre leur vie à ses pieds. Certes, un tel pouvoir est divin ; pourtant, cela ne justifie pas la façon dont il a fait usage de ce pouvoir. Si Dieu lui-même devait se comporter ainsi, il faudrait le juger coupable d’un irrespect flagrant pour la loi de l’amour.

Certains diront : ‘Il n’a pas fait pire qu’aucun d’entre nous aurait fait, ou ferait s’il en avait les moyens. ‘Et je répondrais :’Si ! Il a fait pire que n’importe lequel de nous a fait ou aurait fait à sa place. Car, tout en n’étant qu’humain comme nous tous, c’est sciemment qu’il organisa une campagne de duperie pour convaincre des âmes simples qu’il avait dépassé les limites humaines, et qu’en réalisant le Soi éternel, il avait atteint la sainte “perfection”. Il planta et nourrit de faux rêves, impossibles à réaliser, dans l’oreille d’âmes innocentes et fidèles, et les sacrifia à son bon plaisir. C’est avec une jubilation malicieuse qu’avec ruse, il vola à des centaines d’âmes confiantes leur cœur, leur volonté, leur confiance en soi, leur santé mentale et leur vie même. Aucune personne normalement constituée ne pourrait faire cela, même si elle le voulait, son cœur et sa conscience ne le lui permettraient pas.

Comme chacun d’entre nous, Muktananda n’était qu’humain. Et, comme tout homme imbu de pouvoir, inévitablement cela finit par le corrompre et le détruire. Son pouvoir ne put le sauver des faiblesses de la chair, ni de la méchanceté et de la dépravation qu’un tel esclavage entraîne. Il finit comme un sadique tyran, sans volonté, attirant tous les soirs des petites dévotes dans son lit par des promesses de grâce et de réalisation de Soi.

La revendication de “perfection” de Muktananda (l’état de Siddha) se basait sur la notion que celui qui a reçu l’illumination est, de ce fait, aussi devenu “parfait” et sans plus aucune faiblesse humaine. C’est une idiotie ; c’est un mythe perpétué par des gens malhonnêtes qui veulent recevoir la révérence et l’adoration réservées à Dieu seul. Rien ne nous assure absolument que la vertu morale d’une personne est nécessaire à l’illumination. Il n’y a aucune garantie contre la faiblesse de la colère, de la convoitise et de l’avidité dans l’âme humaine. Les illuminés sont à pied d’égalité avec l’ignorant dans la lutte contre leur propre mal (la seule différence étant que l’illuminé connaît la vérité et n’a aucune excuse pour la trahir).

Tout au long de l’histoire, il y eut beaucoup d’âmes éclairées qui furent considérées comme grandes, qui, dans la fierté de leur perfection et de leur liberté, se sont imaginées être au-delà des contraintes des lois de Dieu et qui ont ainsi chu de l’amour et ont perdu la gloire qu’elles avaient auparavant. Il arrive que souvent ces glorieux Babas et Bhagwans, qui pensaient construire leur royaume ici sur terre sur les ruines de jeunes âmes dévouées à eux, réussissent pendant quelques temps à en duper un grand nombre et à rassembler une grande suite joyeuse, mais leurs actes les suivent également, et proclament leur vérité longtemps après que le chant de leurs louanges se soit perdu dans les airs. “On ne raille pas Dieu” ; et Sa loi d’amour, tout comme Sa justice inéluctable, ne tolèrent aucune liberté ; on ne s’en libère jamais. En réalité, ce sont souvent ceux-là mêmes qui se croyaient les plus parfaits, les plus libres et sous la gouverne de personne, qui ont chu le plus inexorablement ; et leur pitoyable chute est une occasion de grande tristesse qui doit clairement nous rappeler à tous de faire très attention.

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