Swami Abhayananda

Stan Trout

Le premier article publié exposant les abus de Muktananda s’intitulait La Vie Secrète de Swami Muktananda par William Rodarmor, The CoEvolutionQuaterly ; hiver 1983. Swami Abhayananda, c’est-à-dire Stan Trout, y était cité. Voici ce qu’il a à dire 16 ans plus tard.

Cher Pendragon,

Merci pour la réponse amicale. J’avais pour ainsi dire décidé de ne plus vous parler, car vous sembliez par trop soupçonneux et pugnaces, mais à l’heure actuelle, je me sens un peu plus à l’aise pour soutenir une conversation avec vous et je vais tenter de répondre à la plupart de vos questions. D’abord, je ne me suis jamais pris pour “un ancien swami”, comme m’ont décrit les rédacteurs de l’article de Rodarmor en 1983 dans le “Co-évolution Quaterly”. En 1984, j’ai publié mon premier livre, le Soi Suprême, sous le nom de “S. Abhayananda”, et j’ai continué à utiliser ce nom d’auteur dans tous les livres qui ont suivi. A cette époque-là, le terme de “Swami” avait, pour beaucoup, pris une connotation si négative que j’ai estimé qu’il était préférable d’utiliser simplement “S.” dans mon nom plutôt que “Swami”. Dans ce premier livre et dans un certain nombre de livres suivants, je n’ai fait aucune allusion à Muktananda ; je préférais parler de mon expérience spirituelle personnelle et de ma connaissance propre, et j’ai estimé que je n’obtiendrais que des résultats négatifs en rapportant tous ces détails sordides qui ne feraient qu’apporter de la confusion dans l’esprit des gens et ne serviraient qu’à obscurcir mon message. Au cours des années suivantes, j’ai donc continué à éviter de mentionner Muktananda (en partie parce que je ne suis pas intéressé par le commérage ou la critique, mais aussi parce que je me consacre à communiquer ma connaissance spirituelle pour que d’autres puissent en profiter pleinement). Je voulais mettre cette période tragique de ma vie derrière moi et continuer à faire ce que j’avais eu l’intention de faire à l’origine. Il y avait aussi le fait que je m’étais engagé à protéger l’identité de ceux qui m’avaient fait comprendre qu’ils ne voulaient pas être identifiés. A la fin cependant, à cause des questions qui ont été abordées à plusieurs reprises, j’ai inclus dans la biographie qui figure au dos de mes livres le fait que j’avais été un disciple de Muktananda et que j’avais quitté son organisation quand, “ne voulant pas fermer les yeux sur ce que j’avais perçu comme des abus de pouvoir, j’ai quitté son organisation en 1981”.

À part ma “Lettre Ouverte” et ma contribution à l’article de 83 de Rodarmor, c’est tout ce que j’ai dit publiquement jusqu’à ce jour. Cela fait 18 ans que je suis parti de chez Muktananda et je suis maintenant un vieil homme de soixante et un ans. Je ne sens toujours aucun grand besoin de parler du passé (en fait, cela n’a que très peu d’intérêt pour moi) ; mais tant qu’il y a des questions, je souhaite y répondre. J’estime qu’assez de temps a passé et qu’avec le temps mon discours ne nuira plus à personne. Aussi, voici un petit récapitulatif de ce qui s’est passé il y a donc bien longtemps.

Avant de rencontrer Baba, j’avais passé 5 ans dans une cabane quelque peu isolée dans les montagnes boisées de Santa Cruz, en Californie, cherchant à connaître Dieu. C’est là que je fis l’expérience de l’Unité. Une nuit de novembre 1966, j’entrai dans une quiétude profonde et pris connaissance de mon Soi éternel. Cette expérience fut le point culminant de ma vie et influença tout ce qui suivit. A cette époque, je fis le vœu de consacrer ma vie à la gloire de Dieu. Je deviendrais swami ; mais sachant que j’avais encore beaucoup à apprendre, je me donnai donc 12 ans pour être digne d’enseigner ce que je venais d’apprendre. Je ne cherchais pas de guru, mais un soir de 1970, je rencontrai Muktananda à une conférence qu’il donnait à l’Université de Santa Cruz en Californie. Je fus hypnotisé, et quand il descendit de l’estrade, en bas de l’allée, je me plantai face à lui et lui offris mes mains pour qu’il me touche. Il me prit par la main et je le suivis jusqu’à l’extérieur où l’attendait sa voiture. Nous nous fîmes au revoir de la main et l’état de félicité dans lequel je me trouvais était inénarrable. Plus tard, quand je lus son livre, Guru (qui, peu après, fut publié sous le titre de Chitshakti Vilas), je décidai de le rejoindre chez lui en Inde. J’avais l’impression qu’il pouvait m’aider à conserver l’état que j’avais vécu dans ma cabane. Je lui écrivis en demandant si je pouvais venir, et il me répondit : “Viens en Inde”. Je n’avais pas le premier sou, mais des circonstances miraculeuses me permirent d’arriver à Ganeshpuri en 1972.

Je ne fus pas déçu. J’aimais beaucoup l’ashram et j’adorais Baba. J’étais tout à fait convaincu qu’il était Dieu incarné. Malti (Chidvilasananda) n’avait que dix-sept ans et semblait être une âme extraordinairement pure et belle. Le traducteur de Baba était le Professeur Jain, un jeune indien qui plus tard tombera amoureux et se mariera aux Etats-Unis. Il y avait des jeunes gens, hommes et femmes, de nombreux pays : français, italiens, espagnols, australiens, et américains ; et bien sûr, un certain nombre de dévots indiens. A cette époque, il n’y avait que 50 à 60 résidents permanents occidentaux : ce sont les jeunes gens qui plus tard deviendraient swamis et administrateurs de la SYDA. On travaillait dans le jardin et l’on faisait des quilts pendant la mousson ; on chantait et on méditait et l’on se tenait devant Baba quand il était assis sur son perchoir dans la cour, comme des anges devant le trône de Dieu, absorbant la beauté de son éclat, plongés dans la quiétude de sa paix.

Je passai deux années très heureuses à Ganeshpuri, après quoi, je rentrai aux Etats-Unis pour aider à préparer le 2ème voyage de Muktananda autour du monde. C’est dans le Piémont californien que nous lui avions préparé une maison, et peu après son arrivée, au cours d’un chant qu’il menait, je fus rempli d’émotion tandis que des larmes inondaient mon visage. Une fois le chant terminé, il m’appela à l’étage dans sa chambre et me donna les sandales qu’il portait. Il me dit d’aller à Indianapolis (ma ville natale) pour y préparer sa visite. J’y allai et préparai un endroit où, à sa venue, eurent lieu une intensive et un darshan pour un grand nombre de gens. Mais dû à la jalousie d’un membre du personnel de Baba, je ne pus y établir un centre permanent. Ce qui m’apparut comme le retrait du soutien de Baba me déconcerta, mais étant dans l’incapacité de communiquer avec Baba à cause de cette personne qui s’interposait, et ne voyant d’autre issue, je retournai à Oakland en Californie, où Baba était censé finir son Tour. À l’époque, Baba semblait ne rien savoir de l’hostilité dont j’étais l’objet ; par la suite, quand il la découvrit, il interdit cette personne de tout rapport avec la SYDA.

A Oakland, j’aidai à la rénovation d’une ancienne maison close qui devint l’ashram d’Oakland. C’est dans cet ashram que, pendant plusieurs années, je vécus, remplissant les fonctions de pujari, de bibliothécaire et faisant les achats de nourriture. En 1978, j’écrivis à Baba, qui était retourné en Inde, et lui dis que, mes douze années étant passées, il était temps pour moi de devenir swami. Il répondit : “Viens en Inde et prends l’initiation. “C’est ainsi qu’en mai 1978, je retournai en Inde et pris sannyas avec plusieurs autres dévots. Ensuite, Baba m’envoya à l’ashram de New York, à la 86ème rue, pour y recevoir une formation d’enseignant sous l’égide de Swami Paramananda. Comme beaucoup d’autres swamis, je ressentis une grande poussée de Shakti suite à la grâce de Baba. Je commençais à devenir un instrument de son énergie ; des impulsions d’énergie bleue émanaient de mes yeux vers ceux qui étaient réceptifs, et si l’on me touchait, je sentais mon flux d’énergie aller vers cette personne.

Cet accroissement d’énergie fit que je devins une attraction magnétique du sexe opposé et, au moins une fois, j’encourageai sottement cette attraction en y répondant. Baba ne me réprimanda pas ouvertement, mais il me fit savoir son mécontentement, et j’appris à retenir mes affections bien qu’elles se fissent ressentir souvent, et restai chaste tout le temps de mon association avec le Siddha Yoga.

Après mon apprentissage à New York, Baba m’envoya diriger l’ashram de Philadelphie ; mais ceux dont l’autorité y était déjà établie me considérèrent comme un intrus et les moments que j’y passai ne furent pas particulièrement heureux. Mon directeur, avec qui j’étais continuellement en désaccord et qu’il m’est arrivé une fois de frapper, était Jim McMahan (qui, par la suite, devint aussi swami). Je lui fis des excuses et insistai pour appeler Baba et lui avouer mon comportement outrageux ; mais Jim m’implora de ne pas le faire et l’incident ne lui fut pas rapporté. (Beaucoup plus tard, c’est lui-même qui informa Baba que je l’avais frappé, offense pour laquelle Baba envoya Shripati, un de ses acolytes, me rosser). C’est à cette époque que l’ashram de South Fallsburg fut acheté et remis à neuf, et j’y passai beaucoup de mon temps, aidant au nettoyage et à la préparation. C’est à cette période, alors que je descendais avec une caisse de bardeaux en bois, qu’eut lieu un incident qui me revient à l’esprit. J’avais d’énormes ampoules rouges qui se propageaient dans la région du coccyx, et me faisaient beaucoup souffrir. Je décidai donc de rester dans ma chambre en m’exemptant des programmes de l’ashram. Un soir Baba entra dans ma chambre (que je partageais avec Swami Vivekananda, qui s’appelle maintenant Maître Charles) : Baba tenait une grosse canne avec laquelle il pouvait me donner des coups. Mon hindi étant presque inexistant, c’est donc Vivekananda qui traduisit à Baba que je souffrais vraiment. Brandissant sa canne, Baba me fit baisser mon short pour lui montrer mes ampoules, et satisfait, il partit. Cette expérience me fit douter de l’omniscience du guru ainsi que de la compréhension qu’il avait de moi. Quand il fut temps pour moi de retourner à Philadelphie, je dis à Baba que je n’y retournerais pas. C’est alors qu’il m’envoya à Chicago pour y diriger l’ashram.

Je restai à Chicago toute l’année 1980, et je fus heureux tout le temps que j’y passais. L’ashram était toujours plein, et les gens avec lesquels je travaillais étaient formidables. Là, il y avait vraiment un rapport d’amour et de compatibilité avec les gens de l’ashram (particulièrement avec Gargi, qui faisait office de manager), et l’atmosphère dans l’ashram reflétait cette harmonie. A cette époque cependant, Baba m’appela au téléphone au sujet d’une dévote australienne nommée Ma Yoga Shakti (Anne Hamilton-Byrne) qui s’était mise à répandre des rumeurs à propos d’indiscrétions de Baba avec certaines jeunes filles du Siddha Yoga. Comme il savait que j’étais un de ses amis ainsi que de sa famille, il cherchait, par mon intermédiaire, à obtenir des renseignements sur elle et me chargea, par des avertissements pas trop subtils, de lui dire qu’il était un voyant, qu’il était tout-puissant et qu’elle ferait bien de faire attention à ce qu’elle disait. Il criait furieusement au téléphone, comme un fou, provoquant en moi une grande confusion qui créa dans mon subconscient un doute sur sa bienveillance. J’avais entendu Ma Yoga Shakti dire qu’une jeune indienne était venue lui demander conseil, disant que Muktananda l’avait caressée et avait inséré son doigt dans son vagin, soi-disant pour vérifier “ses nadis”. Je fus assez choqué, mais j’étais tellement programmé mentalement pour rejeter n’importe quelle critique du guru que j’écartai cela comme quelque chose que je n’avais pas la capacité de comprendre. Et si le guru trouvait quelque plaisir à toucher des filles ! Qui étais-je pour le critiquer ? Mais sa colère et ses menaces fanatiques, pour ainsi dire despotiques, érodèrent mon insatiable confiance et sapèrent lentement l’amour que j’avais pour lui.

Au début de 1981, Muktananda m’appela à Chicago pour me dire :”Ils te veulent à Oklahoma City”. L’ashram de Chicago prospérait et je ne comprenais pas pourquoi il m’en retirait pour m’envoyer dans une ville où il n’y avait pas d’ashram. Mais bien sûr, j’y allai, me retrouvant en fin de compte dans un appartement sommairement meublé avec deux filles qui travaillaient et n’avaient jamais demandé ni un swami ni même un centre de méditation. Je ne sais toujours pas aujourd’hui pour quelle véritable raison il m’avait envoyé là-bas. Baba avait visité Oklahoma City à plusieurs reprises, et celui qu’il avait nommé chef du centre de méditation était parti en rejetant Baba pour créer son propre centre ; Baba me dit qu’il voulait que je ramène les dévots de cet homme vers le Siddha Yoga. Il y avait là aussi un chef indien, un guru rival, que j’étais chargé d’intimider et de saper. J’étais ahuri, mais je fis de mon mieux dans une situation impossible. On loua une grande maison dont on fit un ashram et je rentrai en contact avec ces gurus rivaux dans une tentative d’infiltrer leurs organisations. À cette époque, j’avais l’impression d’être un peu perdu. Je me souviens m’être surpris à penser que j’aurais peut-être préféré travailler comme vendeur de glaces ou quelque chose d’aussi simple. Néanmoins, le travail d’ashram continua à prospérer de façon modeste.

C’est alors, qu’un dimanche après-midi, vinrent me voir un homme et une femme dans la cinquantaine, qui avaient, dans les premiers temps, accueilli Baba dans cette ville, et me révélèrent des nouvelles choquantes : parmi les plus vieux et les plus proches dévots de Baba, plusieurs avaient quitté l’organisation, et ils leur avaient révélé quelques histoires déconcertantes sur les badinages sexuels de Baba avec un certain nombre de jeunes femmes. Ils ne me dirent pas qui étaient ceux qui avaient quitté la SYDA, mais je demandai de les avoir au téléphone pour me convaincre de la vérité de leurs accusations. Mais déjà lorsqu’ils me dirent ces choses sur Baba, je savais dans mon cœur que c’était vrai. Il y avait tant de choses que j’avais vues et senties intuitivement moi-même dans les paroles et le comportement de Baba, et tout cela remontait maintenant à la surface de mon esprit conscient, et je savais que ce qu’ils disaient était vrai. On organisa une conversation téléphonique et je pus parler avec ceux qui avaient fait ces accusations et quitté le service de Baba. C’était des gens que j’avais connus et avec qui j’avais vécu pendant longtemps : Chandra et Michel Dinga ; l’amie de Chandra, Leela ; et Rick et Lotte Grimes. Des gens qui avaient été extrêmement près du centre de l’organisation de Baba et avaient eu des positions de haute responsabilité dans l’organisation. Ils étaient donc bien placés pour savoir ce qui se passait dans la résidence des filles et au sein de la population féminine fortement cloisonnée de la SYDA. On me donna des noms et des dates et tous les détails sordides des anciennes escapades sexuelles de Muktananda, qui remontaient à l’époque de ma première rencontre avec lui. Mon cœur sombra ; de nombreux faits bizarres qui avaient eu lieu au cours des années s’éclaircirent alors, et je me rendis compte que c’était ma dévotion qui avait voilé mon esprit, m’empêchant de reconnaître ce qui était en permanence devant mes yeux.

Mais cependant, je n’étais pas content d’avoir été trompé pendant tant d’années ; je décidai de retourner à South Fallsburg pour affronter Baba avec ce que je venais d’apprendre et pour entendre ce qu’il avait à dire. Mais, tout en attendant le car, ma valise à la main, à l’extérieur de la gare routière, me revint à l’esprit la façon dont Baba avait successivement traité toute forme de critique ; comment il avait transformé ses critiques en cibles du ridicule et comment il avait obscurci toute rationalité ; comment il invoquait son état de Siddha quand on le défiait d’une façon ou d’une autre, et comment de sa chaire de matamore, il réduisait ses adversaires en bouillie devant l’assemblée de ses dévots. Je décidai donc d’aller plutôt en Californie où vivaient ces “renégats” afin de m’assurer en leur présence de la vérité de leurs accusations. C’est donc ce que je fis. Je partis pour Oakland où je restai avec Rick et Lotte, et Michael et Chandra, et j’écoutai ce qu’ils avaient à dire. Ils avaient récemment reçu la visite de deux acolytes de Baba : Shripati et Joe Don Looney qui les avaient harcelés et menacés de leur faire du mal s’ils continuaient à répéter leurs histoires. On leur avait rendu visite sur leur lieu de travail et, à plusieurs reprises, on les avait menacés de défiguration et même de mort. Ils avaient intenté un procès auprès du représentant du ministère public qui avait mis Muktananda et ses gens en liberté surveillée. Michael gardait chez lui un fusil de chasse chargé et portait un revolver 9 mm chaque fois qu’il sortait (même pour les poubelles). Ils étaient manifestement terrifiés par ces types qui, sans se poser de question, suivaient n’importe quel ordre donné par leur guru.

Pendant mon séjour avec eux, c’est d’un autre Baba que celui que je croyais dont on m’entretint. On me parla de nombreuses filles qui, au cours des années, avaient simplement disparu en pleine nuit ce qui, à l’époque, m’avait étonné. On leur avait fait des avances pour des relations sexuelles et, épouvantées, elles étaient parties au beau milieu de la nuit. Nombre d’entre elles étaient les cuisinières de Baba (les filles qu’il avait choisies pour être proches de sa résidence) ; mais il y en avait d’autres qui étaient des petites naïves de treize et quatorze ans qui s’étaient données corps et âme à lui et auraient fait tout ce qu’il leur aurait demandé. Chandra, ainsi que Lotte, affirmèrent qu’à Ganeshpuri, cela se passait dès les tout premiers temps, mais que ça s’était intensifié vers la fin. A Ganeshpuri il avait un matelas sous son lit qu’il retirerait pour ses relations sexuelles afin de ne pas salir son lit. D’abord, les filles me dirent : il ne savait même pas comment faire et demandait fréquemment à ses médecins de l’aider parce qu’il était ‘mou’. Mais bien sûr, c’était avant l’époque du Viagra et ils ne pouvaient rien faire pour lui. A South Fallsburg, cela arrivait tous les soirs (avec une fille différente chaque fois et parfois deux en même temps). Ce n’était pas des ouï-dire ; j’en eus la preuve par la description directe que m’en fit une fille qui avait été exploitée par Baba, et je dus constater sans contestation possible que son histoire était tout à fait vraie.

La lâcheté de toutes ces filles qui avaient été exploitées au cours de ces années et qui n’avaient rien dit me mit en colère. Mais, bien sûr, elles étaient effrayées et embarrassées, et souhaitaient simplement laisser tout cela derrière elles. Cependant, par leur silence elles avaient laissé ces abus se perpétuer et avaient ainsi mis d’autres filles en danger. Je me sentis obligé d’en parler à ceux qui étaient toujours dans l’illusion et de faire ce que je pouvais pour avertir les autres jeunes femmes du danger (c’est moi-même qui avais pris la responsabilité d’amener beaucoup d’entre elles à Baba). Nous autres swamis, avions inconsciemment été ses souteneurs ; et je savais qu’il fallait que je parle. En septembre 1981, j’écrivis la “Lettre Ouverte” que, par la suite, vous avez publiée sur votre site Web et que vous avez envoyée à tous les Centres de Méditation SYDA figurant sur la liste officielle. En mai 1982, je fis un autre publipostage de la lettre, avec cette note complémentaire ajoutée à la fin :

“Depuis la rédaction de cette lettre, j’ai parlé avec beaucoup de gens qui m’en ont appris encore davantage sur les activités secrètes de Muktananda au cours des années passées. Il est triste de dire : il a trompé des candidats sincères qui, pendant des années, ont cru en sa sainteté. Il semble qu’il ait commencé dès 1976 au moins, et aujourd’hui, c’est à peine s’il se donne le mal de cacher qu’il a des rapports sexuels avec des tas de dévotes (dont la plupart sont de simples enfants dans leur première adolescence).

“Quelle révélation amère c’est en effet pour ceux qui lui faisaient confiance comme guide spirituel ! Et la douleur de vous dire ces choses est tout aussi grande pour moi que pour vous de les entendre. Néanmoins, j’estime que je dois vous avertir de ce qui va venir, pour que vous puissiez vous mettre à reconstruire des ponts vers une santé mentale. La SYDA va s’effondrer ; les journaux et les magazines vont s’en donner à cœur joie de raconter les atrocités que commet cet homme ; des jeunes filles vont le poursuivre en justice et l’on va tous se demander comment diable on a pu s’impliquer avec un tel dément. Mieux vaudrait que chacun s’en sorte tranquillement en commençant par reconquérir sa vie. Autre avertissement : ne soyez pas naïfs ; ne sous-estimez pas la perfidie de cet homme. Il est inhumainement déloyal. Il est capable de n’importe quoi. Je voudrais vous donner beaucoup de détails, mais naturellement je dois protéger les noms de celles qu’il a violées. Mais parlez-en à vos amis ; vous en découvrirez beaucoup par vous-mêmes.

“Je regrette sincèrement de devoir être le porteur de telles nouvelles et souhaite comme vous qu’on puisse prouver que tout cela est faux. J’ai appris et je pense que vous l’apprendrez également, que bien qu’elles soient dures, ces tristes nouvelles sont la clef vers un avenir de liberté. Et bien qu’à première vue la colère initiale d’avoir été trompé si longtemps vous paraisse effrayante et que vous vous sentiez seuls, elle s’estompera, et vous vous rendrez compte que la vie est toujours formidable, Dieu est toujours bon et, d’une façon ou d’une autre, vous êtes devenus plus forts et plus confiants dans le bien qui est inné en vous. Vous souffrirez, comme moi, des fantômes languissants d’un cauchemar dont vous vous êtes réveillés et, comme moi, vous vous sentirez très mal pendant quelque temps ; mais chaque transition dans cette vie est prescrite selon la volonté de Dieu et il est là à tous les tournants. Il est toujours là, nous menant infailliblement vers la grandeur.

“Avec tout mon amour et mes regrets sincères”.

Votre ami dévoué,

Stan Trout “

Deux ou trois semaines plus tard, Baba publia un Bulletin imprimé, daté du 4 juin 1982, qui annonçait :

MESSAGE DE BABA

“C’est par leur propre expérience que les dévots devraient connaître la vérité, pas par des lettres qu’ils reçoivent”.

“Cependant, il n’y a là rien de nouveau. Cela fait partie de la lignée à laquelle j’appartiens. Mansur Mastana fut pendu, Jésus fut crucifié et tous les livres de Tukaram furent jetés à la rivière. La lignée de ceux qui firent ces choses à ces grands êtres est toujours parmi nous. Tout comme que je suis établi dans ma lignée, ceux-là sont établis dans la leur. La belle affaire ! C’est seulement la voie du monde. Soyez heureux que je sois encore vivant et en bonne santé et qu’ils n’aient pas essayé de me pendre”.

“… Cependant, ce qui m’étonne le plus, c’est que vous ayez soudain oublié toutes les expériences que vous avez eues. Vous m’avez très souvent entendu parler du grand saint Kabir. Il disait : ‘L’éléphant progresse à son propre rythme, mais les chiens traînent derrière en aboyant’… Les gens écrivent sur le livre blanc avec de l’encre noire. Laissez-les écrire. Kabir dit : ‘Si ça plaît aux gens de manger des choses diaboliques, laissez-les faire. Mais vous, soyez toujours établis dans le Seigneur.

Votre dévoué,

Swami Muktananda “

Il était très mielleux et son style évasif et manipulateur calma la plupart des gens. Il s’était identifié aux christs du monde, et ceux qui lui répliquèrent n’étaient que “des chiens”.

Durant l’hiver 1981, Anne Hamilton-Byrne (Ma Yoga Shakti), qui avait acheté une vieille maison de vacances près de l’ashram de South Fallsburg pour être près de Baba, me la prêta généreusement comme cachette. J’avais laissé poussé ma barbe et j’appris à éviter les ashramites que je reconnaissais dans les épiceries et les grands magasins ; et, malgré la proximité du lieu, moins d’un mille de l’ashram, je réussis à y vivre sans être découvert, jusqu’après la mort de Baba, où je révélai ma présence à quelques ashramites qui passaient devant la maison. C’est alors que Chidvilasananda envoya plusieurs femmes enquêter, mais je les convainquis que j’étais inoffensif et ne présentais aucune menace pour la SYDA, et elles me laissèrent tranquille. C’est là que je restai pendant les sept années suivantes, gardant la propriété, me promenant sur les routes tout en essayant de comprendre comment on pouvait à la fois être un saint et un diable et en essayant de comprendre pourquoi Dieu m’avait apparemment joué ce “tour”, m’envoyant tout d’abord à cet homme et détruisant ensuite tout ce que j’avais cru atteindre en son nom. Je n’ai jamais trouvé de réponse à la première de ces questions. Muktananda reste pour moi une énigme. Il était sans doute une âme extraordinairement avancée, avec des pouvoirs incroyables ; mais c’était aussi un démon qui abusait de ce pouvoir. Comment cela était-il possible ? Je ne le sais pas.

Cette période fut très malheureuse pour moi ; mais je revis, et j’en suis venu à la conclusion qu’aussi difficiles que soient les épreuves devant lesquelles Dieu nous met, elles sont là pour notre propre évolution ; et même si elles nous poussent au fond de routes que nous n’aurions pas choisies, elles nous mènent à l’accomplissement de potentiels que nous n’aurions pas même rêvés possibles. C’est à cette époque que je me mis à écrire et à publier mes livres, pour partager ma propre vue des choses. Ce fut d’abord ‘The Supreme Self’ qui racontait mes premières expériences dans ma cabane solitaire à Santa Cruz et ma compréhension présente.

Ensuite vint ‘History of Mysticism’, une étude monumentale de la vie et de l’enseignement des mystiques de diverses traditions orientales et occidentales. Je croyais fermement en la nécessité de comprendre l’histoire de la pensée mystique dans toutes ses expressions pour voir avec la vision la plus large possible l’unanimité de leur message. Tous, indépendamment de leur affiliation religieuse, avaient fait l’expérience du même Soi éternel ; et le poids combiné de leur témoignage était immense. J’avais fait des recherches sur ce livre à la bibliothèque du SUNY à New Paltz, à 30 milles de South Fallsburg et y avais aussi trouvé les livres qui m’aidèrent à écrire la biographie de Jnaneshvar que j’ajoutai aux traductions déjà en ma possession de certaines de ses oeuvres écrites. Ce livre parut sous le titre de ‘Jnaneshvar : la vie et les travaux du célèbre poète mystique indien du treizième siècle’.

Finalement je décidai de me faire une nouvelle vie et, en 1988, je déménageai pour Naples, en Floride. J’y rencontrai une femme avec qui je fondis “Le Temple Vedanta”, où, en tant que Swami Abhayananda, je donnais régulièrement des cérémonies et des cours. Je jouissai ainsi d’une vie aisée, combinant plage, surf et soleil. Là je publiai un livre intitulé ‘La Sagesse du Vedanta’, un recueil de trente-cinq de mes meilleurs cours des dernières années. Et, en 1991, je quittai la Floride pour l’état de Washington, point diagonalement opposé du continent. Là, je rétablis “Le Temple Vedanta,” et publiai d’autres livres : ‘Dattatreya : The Song of the Avadhut’, qui consiste en une traduction du texte sanscrit de l’Avadhut Gita que j’avais faite avant, en 1977, à Oakland ; ‘Thomas a Kempis’, sur l’amour de Dieu, une édition revue et corrigée d’une traduction anglaise du 15ème siècle de l’Imitation du Christ ; et plus tard, une édition revue et corrigée de l’Histoire du Mysticisme, qui fut une sélection du “Club du livre du mois” et devint un manuel de cours dans une demi-douzaine d’universités dans tout le pays. Mon livre le plus récent, écrit à la gloire de Plotinus, le sage mystique romain du 3ème siècle, a pour titre, ‘L’Origine du Mysticisme Occidental’. En dehors de mes publications, je subviens à mes besoins en m’occupant de personnes âgées à domicile. Je vis une existence calme dans une cabane au bord d’un lac entouré de pins, où je lis, j’écris et je continue à essayer d’unir mon âme à Dieu. J’invite tous ceux qui voudraient en savoir plus sur mes livres à parcourir mon site Web : http://www.atmabooks.com/, ou à m’adresser une demande par e-mail à : atmabks@aol.com ou abhayanand@aol.com.

Merci de m’avoir donné la chance de raconter mon histoire.

Sincèrement votre,

Swami Abhayananda

Le 7 octobre 1999